Pourquoi je suis devenu cartésien ?

Comme tout Brazzavillois, mon enfance a été bercée de comptines, de légendes, de contes tournant autour de la sorcellerie. Mes journées commençaient et se terminaient par des faits divers mystiques terrifiants ; de personnes se nourrissant de chairs humaines, de sang et d’âmes, de vieilles personnes s’envolant la nuit, de jeteurs de mauvais sorts, des rites rites sataniques...


Les coupables, désignés d'office, étaient toujours les même : oncles, grandes pères, grand-mères, de surcroît fauchés. Même si mes parents biologiques ont fait de leur mieux afin de m'épargner de ces croyances populaires, je n'ai pas pu me soustraire à la radio trottoir qui a tendance souvent à prendre le dessus sur l'enseignement parental. 


Ainsi, formaté par la rue, je voyais des sorciers partout. Il suffisait juste de voir un vieux papa avec une calvitie luisante, j'en déduisais que c'était un sorcier ! Lors des veillées mortuaires dans le quartier, la question qui se posait ce n'était pas : de quel maladie est mort le pauvre gus mais plutôt : qui l'a "bouffé" ? Ma bande de pote et moi, nous y allions de suppositions en investigations. Un vieux papy avec les yeux rouge ? C'est qu'il s'en servait dans le monde mystique comme feux de route. Un autre qui se raclait la gorge ? C'est qu'il lui était resté un bout d'os à travers la gorge. J'étais le commissaire Derrick de la sorcellerie, à l'affût du moindre détail.


Un beau jour, je me suis retrouvé dans un village (nganda) vraiment reculé de la RDC situé entre Bolobo et Kwamoutou dans la régions de l'Equateur, peuplé de Mongos. Les villageois avaient pour habitude, au retour des champs, de se réunir autour d'un grand feu de bois. Chacun y racontait sa journée, ses projets, ses fantasmes. Il y avait des chants, des proverbes, des devinettes mongo, on y buvait le lotoko. La belle vie quoi ! Cette place ressemblait presque au mbongui. La seule différence c'est qu'on y fumait du chanvre indien alors qu'au mbongui des Kongo on fume une sorte de tabac à rouler appelé fumu dia ba nkabi. 


Les "noileurs", comme on les surnomme à Brazzaville, avaient l'habitude de faire circuler un joint, long comme le nez de Pinocchio, où chacun aspirait sa bouffée puis le donnait à une personne. Vint le tour de mon frère par alliance (son père étant marié à ma mère) qui sortait droit de Kinshasa. Le gars n'avait jamais fumé de sa vie mais comme il n'avait pas cesser de répéter toute la journée dans tout le village : "nga na za yanké", "nga na za yanké, il ne pouvait plus se défiler. En plus, il se faisait appeler Maitre Tchang. Donc pour asseoir sa réputation qu'il s'était créé le matin, il n'eût d'autre choix que d'aspirer sa bouffé de mbangui. Quelques minutes après, il devint silencieux. Quand on lui demanda pourquoi ce calme, il répondit d'un air grave : na zo bouler ! L'assemblée le laissa donc "bouler" jusqu'à ce que tout le monde parte se coucher. 


En plein milieu de la nuit, l'envie d'uriner me prît. Au retour dans la chambre que je partageais avec Maitre Tchang, lorsqu'il aperçut ma pénombre, il se mit à crier diaboulou diaboulou ! Tout apeuré, je le saisi par les bras : aza wapi (il est où) ? Le lendemain, pendant que je dormais, il alla répandre la nouvelle dans tout le village que j'étais un sorcier, que je m'étais transformé en sirène que je l'avais saisi pour le dévoré mais le chapelet qu'il portait à son cou l'avait protégé. A mon réveil, des heures plus tard, c'est un attroupement de jeunes munis de "lichettes" (machettes) bien aiguisées, mines renfrognés qui m'attendaient. Un vieux qui avait passé la nuit avec nous leur demanda ce qui n'allait pas. Ils répondirent ce que mon frère par alliance leur avait raconté sur moi ; que j'étais un ndoki. Il éclatât de rire en disant qu'il avait suivi toute la scène et avait conclu que "Maitre Tchang" avait trop fumé et qu'il était sujet d'hallucinations et autres délires. Les autres se mirent aussi à rire et, pendant des semaines, mon frère par alliance et moi furent la risée du village.


Je l'ai échappé de justesse, certes. Mais combien de femmes, d'hommes, d'enfants, de vieillards sont tués, torturés, battus, honnis de la société suite aux fausses allégations d'une tierce personne qui, sous l'effet de drogues, d'alcool, victimed'hallucinations, souffrant de troubles psychiques, par simple méchanceté accuse à tort l'autre de sorcier ? Combien de familles se brouillent, s'entre-déchirent, se séparent t-elles à cause de ces fils qui chopent la syphilis et autres MST et, par mauvaise foi, font croire à leurs parents que tel tonton ou telle tantine les a jeté un mauvais sort ? 


Je vous épargne de ces illuminés et illuminées spirituels (elles) à qui le gourou fait croire que s'ils ne trouvent pas de boulot c'est à cause de l'oncle, que si elles ont du mal à concevoir c'est à cause des belles-famille alors qu'ils devraient plutôt apprendre à rédiger un CV et une lettre de motivation. Et ces filles devraient être franches avec elles-mêmes et tout avouer à leurs gourous ; les avortements multiples et enchaînés ont fini par avoir raison sur leurs appareils reproducteurs.


Voilà pourquoi je suis devenu cartésien ; faire passer la raison avant l'émotion devant toute situation tel est mon credo

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